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Journal d'un TCA
3 juin 2015

JOUR 0 : LE NOM DU DEMON

Bonjour, je suis hyperphage.

Je suis aussi hyper drôle et hyper sensible, mais ce n’est pas la question. Quoi que si, un peu.

Je suis hyperphage.

C’est un nom un peu barbare, mais pour en donner une définition claire, nette et précise, voilà ce que ça veut dire, « Hyperphagie » : L'hyperphagie correspond à une prise importante et compulsive de nourriture (d'où le terme d'"hyperphagie") sans comportements compensatoires (vomissement, laxatifs, hyperactivité sportive...).

Tout est expliqué ici :


Je l’ai appris hier.

Et bizarrement, ça me rassure.

Impossible de comprendre, depuis tant d’années, ce que j’avais. J’essayais de me l’expliquer sans vraiment me comprendre : « C’est comme des crises de boulimie, mais sans me faire vomir. En fait je mange tout ce que je peux. Et après je m’en veux. Mais je sais que ce n’est pas bien. Oh, en fait c’est juste que je n’ai aucune volonté, quoi. »

Non. Non, ce n’est pas qu’une question de volonté. Ou alors peut-être, mais pas que. C’est une maladie.

Et si c’est une maladie, ça veut dire que ça se soigne.

A force de lire tout ce que je pouvais sur le sujet, j’ai découvert que – O SURPRISE – c’était lié à des démons. A des pensées. A des trucs qu’on garde et qu’on n’arrive pas à exprimer. A des choses qui nous hantent un peu. Beaucoup ? Beaucoup.

L’hyperphagie - d’ailleurs, la mienne, je l’ai appelée Hypou. C’est choupi, ça donne l’impression d’un truc tout petit et tout fragile. Que je pourrais écraser d’un gros coup de semelle – c’est, parfois, une protection. On mange tout ce qu’on peut pour que notre esprit ne tergiverse pas sur des choses que l’on a pris soin de bien enterrer, voire même d’oublier. En tout cas, on se persuade qu’on les a oubliées. Consciemment, on n’a aucune idée qu’elles existent encore. Mais la porte fermée à double tours dans notre esprit, elle, elle est bel et bien là et force est de constater qu’en réalité, on l’a mal fermée. Le démon n’y a pas tenu bien longtemps et il semblerait qu’il s’en soit échappé aussi facilement qu’on bat des cils. Le petit merdeux.

 Alors on mange. Sans faim, parfois, sans envie, juste par besoin. C’est en tout cas ce que je fais. Je mange – non, je ne mange pas. Je boulotte. J’ingurgite. Je dévore, sans jamais me rassasier. Comme si j’avais un énorme trou noir qui aspirait tout ce que j’engloutis. Tant qu’il y a à manger, je mange. Quand j’ai décidé que j’avais envie/besoin (je n’arrive pas encore à le déterminer), alors rien ne peut m’empêcher. Je vais acheter tout le supermarché. Je commande une pizza, une entrée. Et je mange, je mange, je mange. Puis une fois qu’il n’y a plus rien, je m’en veux. Je me trouve horrible. Je me dégoûte. Je me dis que c’était la dernière fois, jusqu’à la fois d’après, qui survient souvent quelques jours plus tard, seulement.

Généralement, quand Hypou fait sa loi, je m’arrange pour être seule. Mais si elle a envie de faire des rencontres et qu’elle se manifeste en public – à un buffet, un apéro, un repas de famille, peu importe – impossible non plus de la faire taire. Les gens en rient, les gens ne savent pas. Je suis celle qui peut tout manger. Celle qui peut finir les assiettes des enfants. Celle qui ne dira jamais non quand on lui propose de la resservir. Celle qui sourit bêtement à toutes ces remarques.

Celle qui pleure quand elle retourne chez elle.

Qui s’en veut. Qui voit son corps. Qui ne se maîtrise pas. Qui ne maîtrise rien.

Et qui n’a que Hypou pour lui tenir compagnie.

Et évidemment, dès lors, c’est reparti.

 Depuis que je le sais, je suis comme électrisée. Ca me fait un bien fou de mettre un nom dessus, et en même temps ça me fait peur de me dire que ça a un nom. Ca rend tout plus vrai, plus concret, plus à portée de mains.

J’ai envie de lutter contre ça, j’ai envie d’en guérir, j’ai envie d’arrêter de gâcher ma vie pour ça. Je ne veux plus de coloc avec Hypou, je veux la rayer de ma carte, l’anéantir, lui dire au revoir, m’en séparer. Elle me vampirise, elle m’épuise, elle m’obsède, c’en est trop, j’en ai assez. Je me dégoûte, mon corps me dégoûte, mais je dois lutter. Il y a plein de combats dans la vie, dont bon nombre peuvent sembler bien plus complexes et importants que le mien.

 

Mais désormais, c’est mon combat contre moi.

Mon combat contre l’hyperphagie.

Pas contre la nourriture, pas contre la vie, pas contre mes émotions.

 

Je vais devoir prendre sur moi. Je vais devoir ouvrir la porte fermée à double-tours. Je vais devoir affronter tout ce que j’ai pris soin d’ignorer jusqu’à présent. Je vais devoir assumer, accepter. Je vais devoir comprendre ce qui nourrit Hypou, là-dedans.

Pour lui couper les vivres.

 

Et commencer à avancer.

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